Conjointement à la peinture, il développe une œuvre épistolaire : des milliers de lettres envoyées pendant plus de vingt ans, qui vont lui permettre de tisser des liens avec un grand nombre de ses contemporains : artistes, écrivains, journalistes, critiques d’art. Bien qu’autodidacte, il est loin d’être l’artiste « indemne de culture tel que le définit le concept d’Art Brut. Jean Dubuffet lui-même admettra que Gaston Chaissac était trop informé du champ artistique et littéraire pour être classé comme un artiste « brut ».
Chez joca seria
Lettres de Gaston Chaissac à Albert Gleizes et à Juliette Roche
(1938-1952)
Édition établie et annotée
par Dominique Brunet, Noémie Fillon,
Gaëlle Rageot-Deshayes et Yolande Rasle
Madame. Monsieur.
Vous me demandiez l’opinion de mon medecin, ses conseils, les voici : il me conseille de vivre dans un milieu agité (milieux d’artistes), mon cas ne peut se guérir avec une formule chimique, je n’ai rien d’organique, je suis artiste et c’est incurable, je suis capable de faire des choses que tout le monde ne peut pas faire, par conséquent il m’est dificile de faire ce que tout le monde peut faire. (Lettre de Gaston Chaissac à Albert Gleizes et à Juliette Roche, janvier 1939)
Gaston Chaissac est tout autant écrivain que peintre et excelle dans l’art épistolaire. Par ses lettres, l’artiste se fait connaître et in fine, se reconnaît lui-même. La correspondance qu’il amorce dès 1939 avec le couple d’artistes Albert Gleizes et Juliette Roche est éloquente. Les lettres de ces premières années sont rares et d’autant plus précieuses pour comprendre les chemins qui conduisent l’homme à l’artiste.
L’époque est tragique, le pays en guerre. Chaissac, conscient d’être un piètre cordonnier, cherche une issue après la vie en « sana ». Il trouve l’un de ses tout premiers soutiens auprès des Gleizes. Ils apprécient ses textes, poèmes, contes ou articles et ses premiers dessins et lui donnent matière à spéculer sur l’artisanat, le retour à la terre ou l’expérience communautaire.
De mai à octobre 1942, Chaissac séjourne à Saint-Rémy-de-Provence où il travaille comme commis chez le bourrelier d’Albert Gleizes. L’expérience est brève mais décisive. Il saisit là, dans la bibliothèque du mas des Méjades, dans l’atelier du peintre cubiste ou au gré des amitiés qu’il y noue, quelques motifs et prétextes à création dont il se souviendra une fois installé en Vendée.